19 mars 2013

Terrorisme : Boko Haram frappe sans rémission

Mise à jour le 18 mars 2013, 18:29

Boko Haram, on en parle beaucoup. Et on la définit par ce raccourci rapide comme "une secte nigériane djihadiste anti-chrétienne". Je dirais plutôt qu'il s'agit d'un mouvement hostile à tout ce qui vient des "apostats d'Allah" et de tout ce qui vient de l'Occident.


Son fondateur, Mohamed Yusuf, né le 20 janvier 1970 dans le village de Girgiri de l'Etat de Yobi, au nord-est du Nigéria, était un islamiste nigérian, adapte du salafisme. Issu de l'ethnie des Kanuris, parti à 20 ans poursuivre des études de théologie à Medine, "la ville du prophète" en Arabie Saoudite. A son retour, il crée et organise Boko Haram, un groupe armé actif dont il devient le chef spirituel, implanté dans plusieurs Etats du nord-est du pays.

Yusuf est un magnifique athlète, rigoureux, sobre, frugal. Son idéologie s'inspire de celle des Talibans afghans. Ses prêches sont intolérants. Il dénonce les imams tiédistes, rejette avec force "tout ce qui vient des Blancs" et revendique un retour "intégral au Coran". Boko Haram signifie d'ailleurs en dialecte haoussa : "L'école est un péché."

Durant les quelques années où il se tient calme, convertit ou endoctrine ses cadres, Yusuf étoffe son mouvement, et sacrifiant à la tradition, épouse quatre femmes et leur fait douze enfants.

Dans ses "communiqués aux croyants", il réclame la mise en pièces du système d'éducation "fabriqué pour les marchands et les Chrétiens", attaque ouvertement le gouvernement du président Umaru Yar'Adua et dénonce les fonctionnaires corrompus à sa solde, les "imams collabos". 

Il participe cependant à des débats théologiques houleux. Très vite l'extrémisme de ses propos le fait interdire de ces réunions. Cet échec durcit sa détermination. Devant une grande carte, il mûrit sa stratégie nihiliste et prend la mesure de son ambition.

La réaction de l'armée nigériane est impitoyable
Les troupes nigérianes. © US Federal government.
Durant huit années, la "secte" se tient calme. Fin 2003, la veille de Noël, son nouveau chef Ustaz Mohamed Yusuf déclenche des actions armées spectaculaires. Ecoles chrétiennes, postes de police, bâtiments publics, grenadés, incendiés. De 2005 à 2008, peu d'affrontements. En juin 2009, des renseignements remontent vers les services nigérians. Boko Haram est armée. L'armée va intervenir et ratisser les provinces du nord.
La secte répond par une série d'actions violentes, faisant sauter des églises, des casernes, des douanes, des postes de gendarmerie. Bilan : 715 victimes.

L'innovation qui différencie l'action de Boko Haram des autres groupes terroristes africains : elle attaque de préférence les bâtiments religieux ou terroristes ou publics quand ils sont pleins, les églises ou les temples pendant la messe du dimanche, à la Nativité, l'Ascension, les mosquées pendant la prière du vendredi, les tribunaux en séance, les autocars bourrés de passagers, les prisons quand les détenus remontent des cours de promenades dans leurs cellules.

En réponse, la réaction de l'armée est impitoyable. Elimination de plus de 800 membres du groupe dont le chef Ustaz Mohamed Yusuf surnommé "l'invulnérable". A l'époque, les forces nigérianes annoncent également la mort d'Abubakar Shekau, son bras droit. La presse nationale dénonce la secte "des fous de Dieu liés par le serment du sang qui étale ses victimes dans les rues" et prédit l'instauration de la Charia sur tout le territoire national. Mais les adeptes de la "secte", qui se présentent désormais comme les "nouveaux talibans nigérians", poursuivent leurs actions meurtrières. Un an plus tard, à la surprise générale, en juillet 2010, "l'imam" Shekau réapparaît dans une vidéo postée sur internet. Dans cet enregistrement, Shekau, leader de Boko Haram promet une lutte sans pitié au gouvernement central.

Que sait-on de lui ? Il est né il y a quarante ans à Shekau, un village dont il porte le nom, près du Niger. Son âge ? 42 ans. Une jeunesse désœuvrée à Majoni, un quartier miséreux de Maiduguri. Vols de voitures, bagarres, fumeur de marijuana, il traîne dans les bars. En 2002, repéré par Mohamed Yusuf, il rejoint la secte. Contrairement à son aîné, il n'a que peu fréquenté l'école et moins encore suivi une formation théologique. C'est un homme en pleine force, le regard vif, la barbe très noire, bien taillée. Peu causant, brutal, le poing qui parle vite. Il ne parle pas l'anglais, s'exprime en kanouri, haoussa ou arabe. Recherché depuis trois ans comme l'un des chefs terroristes les plus dangereux du continent africain, Shekau reste introuvable.

La secte Boko Haram se radicalise
Dans sa vidéo la plus récente, il apparaît à visage découvert, le sourire éclatant, keffieh sur la tête, longue robe blanche des salafistes, un fusil Fal posé à sa droite contre le mur. C'est un combattant sans charisme, déterminé. L'action pour l'action. Shekau s'est imposé à tous par son courage et son intransigeance. A l'inverse de Yusuf qui était admiré et respecté de tous, il est craint et il ose.

Le 26 août 2011, l'attentat commis à l'encontre de l'immeuble des Nations Unies dans la capitale d'Abuja prend une dimension internationale et menaçante. Alors que jusqu'à cette attaque, Boko Haram était considérée comme un mouvement régional de "bandits devenus terroristes", les choses ont pris de l'ampleur. Des opérations suicides à l'explosif se sont multipliées. Une façon inédite en Afrique de lancer des bombes humaines sans aucune parade possible. Avec Shekau, la secte s'est radicalisée. Il a fait assassiner plusieurs imams au prétexte qu'ils avaient trahi "la cause" d'Allah, parce qu'ils avaient discuté avec des fonctionnaires d'Etat. La majorité des musulmans dénonce "cet usage excessif de la force".

Fin 2011, Boko Haram compte environ 800 adeptes — combattants dotés d'armes légères, d'explosifs, d'un demi-millier de mines et de bombes incendiaires. Durement secouée dans le nord du Nigéria, elle a fait glisser 300 de ses hommes vers le sud du Niger, les abords du lac Tchad et la frontière méridionale du Tchad. Objectif, les Chrétiens sudistes "noirs". Une partie de ces hommes auraient fait leur jonction avec des éléments de l'Aqmi.

Des vétérans des opérations en Irak
Depuis février 2012, les recrues de Boko Haram s'entraînent dans des camps encadrés par des djhadistes, vétérans des opérations en Irak, en Algérie ou en Afghanistan. Les service occidentaux s'inquiètent d'une vidéo diffusée, il y a trois mois à peine sur internet, montrant des combattants qui s'expriment en peul, haoussa, fulani, tamachecq, portugais (pour les recrues venant d'Angola)... et en français pour des volontaires musulmans arrivés nombreux de la métropole. Tous entraînés par des membres de la milice somalienne Al-Shabbab. Leur formation achevée, ces futurs combattants se rassemblent pour un dernier salut derrière l'étendard noir du prophète. Sur les bandeaux qui entourent leurs fronts, il y a des inscriptions : "Allah est la réponse!", "Dieu est éternel!", "Son ombre s'étendra sur la terre!". Mais qui sera son vizir ?!
P.Dt. pour 24heuresinfo